lundi 30 janvier 2017

L’équipage du Record du Trophée Jules Verne


Accueillis en héros, les six marins du trimaran Idec Sport, menés par Francis Joyon, ont bouclé le 26 janvier 2017 au matin leur tour du monde en un temps record (40 jours et 23 heures au lieu de 45 jours et 13 heures). Parmi eux, un Brestois pur jus, connu pour sa résistance dans le gros temps et son exceptionnel toucher de barre. Sébastien Audigane, 48 ans, a adoré. Les traits creusés, les yeux explosés, les mains abîmées. Le grand Seb n’a pas ménagé sa peine durant ces 40 jours autour du monde. Mais c’est surtout le plaisir qu’il retient et particulièrement ces onze jours d’une chevauchée fantastique en océan indien (plus de 800 milles nautiques par jour), idéalement positionnés à l’avant d’une dépression.

 
Sébastien Audigane : « On avait le vent idéal, une mer plate et on a attaqué comme des malades. Ça a été onze jours de folie à 35 nœuds de moyenne. J’ai fait une pointe à plus de 48 nœuds (90 km/h), sans le vouloir ! ». On peine à le croire. Francis n’a sans doute pas trop apprécié la pointe de vitesse, la consigne étant de ne pas dépasser les 40 nœuds (75 km/h) pour rester dans le bon tempo météo et ne pas perdre le contrôle de l’engin.

 
Il ne fallait pas s’attendre à des ronds de jambe ni à de longues poses devant les photographes ! Lorsqu’« Idec » est sorti de l’horizon laiteux, jeudi matin devant Camaret, par une fraîche brise de sud-est (25 nœuds), on s’est douté que Francis Joyon ferait du Joyon dans le texte. Tout schuss, sous trois ris-trinquette, et s’accordant un léger ralentissement pour embarquer le routeur, le sponsor et quelques proches.

Son petit monde à bon port - Accroché à la barre, Francis Joyon n’avait pas encore terminé sa mission. Il s’accordait bien quelques signes de la main mais ne prenait pas vraiment le temps de célébrer, en mer, sa victoire avec les centaines de personnes venues l’accueillir.
 
On sait l’homme peu démonstratif, discret dans la victoire, pas fanfaron pour un sou. Et encore plus pour ce record en équipage, comme si la performance lui appartenait encore moins.

Déjà, en solitaire, le menhir de Locmariaquer n’est pas du genre à exploser. Le marin reste en contrôle, tout en retenue. Ceux qui le connaissent savent que c’est sa nature, que le grand Francis n’est jamais du genre à tirer la couverture à lui et, a fortiori, lorsque l’œuvre est collective. Lors de la dernière vacation, une fois la ligne franchie devant Ouessant, quand son sponsor lui demande ses premières impressions, il cherche déjà à refiler le combiné à un de ses cinq marins !


A quelques encablures du goulet, ses cinq équipiers, rejoints par leur routeur Marcel Van Triest, répondent volontiers aux applaudissements et aux hourras des accompagnateurs.


Une flotte diverse que la rade de Brest a le chic de produire à chaque arrivée de course. La goélette Etoile et les J80 de la marine, les planchistes du Pôle France, pieds nus dans le froid sur leur planche à voile, la vedette de l’amiral, quelques plaisanciers, la SNSM et une nuée de journalistes (60 médias représentés) prêts à relayer l’émotion de ce fantastique tour du monde. Encore dans sa bulle, filant à une vingtaine de nœuds d’une traite jusqu’au port de Brest, le grand Joyon mène son petit monde à bon port.
 
 


Mais quelle mouche les a piqués ? Pourquoi ont-ils choisi de tourner tous cet hiver autour du monde ? Ça a commencé par l’envolée, le 6 novembre, des 29 solitaires du Vendée Globe. Pour bien mettre le bazar dans les têtes du grand public, qui n’a déjà pas besoin de ça pour mélanger les records et les courses, le solitaire et l’équipage, le monocoque et le multicoque, Thomas Coville s’est élancé à la barre de son géant à trois pattes, le même jour de Brest. Pour revenir, seul, 49 jours et 3 heures plus tard à son point de départ. « Coville maître du monde », titraient les médias, fin décembre. « Le Cléac’h, roi du globe », lisait-on à la Une des journaux un mois plus tard. Et voilà qu’aujourd’hui, Joyon et ces équipiers explosent le record du Trophée Jules-Verne. Le Trophée quoi ?


PHÉNOMÉNAL !
Vous savez Philéas Fogg, héros du roman de Jules-Verne... Non, vous êtes définitivement paumés ! Qu’importe, sachez juste que ces six gaillards ont rétréci la planète comme jamais. 40 jours et des poussières. L’hiver prochain, il n’y aura pas de Vendée Globe. Mais on est prêt à prendre les paris, ces records, en solo ou en équipage, tomberont un jour. Parce que depuis que la terre existe, que l’homme a pigé qu’elle était ronde, il n’a de cesse de vouloir tourner autour. Le plus vite possible. Quitte, parfois, à nous donner le tournis. Allez, tournez manège !


D’habitude, Francis Joyon, 61 ans, navigue seul. Vite et bien comme en témoigne sa dizaine de records. Pour le Jules-Verne, au lieu d’embarquer une armée mexicaine à ses côtés, il a misé sur un équipage restreint. Cinq équipiers retenus en fonction de leurs qualités humaines plutôt que sur l’épaisseur de leur CV : bon, le Suisse Bernard Stamm et le Brestois Sébastien Audigane totalisent quand même 14 tours du monde à eux deux. L’Espagnol Alex Pella et les deux autres Bretons, Gwénolé Gahinet et Clément Surtel, ne sont pas non plus des lapins de trois semaines.


On peut voir la fierté de Clément Surtel qui a pris une part importante dans la préparation du Trimaran auprès de Gwénolé Gahinet et de Francis Joyon.



« Nous étions ses musiciens » - Après 40 jours de mer, ces six hommes-là ne se sont jamais engueulés. Pas un éclat de voix. Pas la moindre petite prise de tête. Rien. « Normal, Francis est un mec gentil. C’est un sacré guerrier surtout (Audigane) ». Même Stamm, son beau-frère, n’a pas entendu de fausse note : « Francis, c’était le chef d’orchestre, nous étions ses musiciens ». Le petit jeune aussi s’est régalé : « C’est un équipage absolument génial » (Gahinet). Le plus bel hommage vient tout droit d’Espagne : « Une belle équipe, un beau bateau, une super navigation, des conditions incroyables... C’était juste magnifique ! Tout cela grâce à Francis, un homme qui laisse faire, qui ne gueule jamais. Il est juste énorme, super gentil, d’une grande politesse. En France, vous avez beaucoup de chance d’avoir un tel personnage qui maîtrise son sujet. Quel bonheur de naviguer à ses côtés » (Pella).


« Il me fait rêver » - En fait, Joyon, qui peut paraître froid de prime abord, fait l’unanimité partout. Même son sponsor, Patrice Lafargue, Pdg de Idec, qui le suit aveuglément depuis 14 ans, lui a fait une véritable déclaration : « Je crois en Francis, il me fait rêver. En quelque sorte, je suis amoureux. C’est un homme de passion qui a croisé mon destin. C’est formidable de croiser quelqu’un comme lui ». Et Joyon qu’en pense-t-il de ce déferlement de compliments ? Il balaie cela par une pirouette : « Mon équipage a de la ressource. Je me demande même s’ils ne seraient pas capables de repartir immédiatement ». Tout est dit.

 

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