vendredi 26 janvier 2024

240124-La course au large la plus extrême-part 2

La classe Ultim est apparue pour la première fois en 2010 sur la Route du Rhum. Depuis, cette classe s’est structurée : Collectif Ultime dans un premier temps, puis classe Ultim 32/23, elle regroupe les grands trimarans de course.

D’où vient le nom d’Ultime ? - L’histoire trouve sa source… au Brésil : en novembre 2007, à l’arrivée de la Transat Jacques Vabre à Salvador de Bahia, Pierre Bojic, alors directeur général de la société Pen Duick, organisatrice de la transat en double, a l’idée d’ouvrir la prochaine Route du Rhum 2010 aux grands bateaux pour créer une dynamique. L’objectif est de promouvoir ces géants afin de faciliter le lancement du tour du monde prévu au départ de Brest en 2011.

« Ce mot Ultime, nous l’avons inventé avec Pen Duick. Auparavant, on appelait ces bateaux les géants. Quand on a lancé l’idée de cette course à Brest, on l’a baptisé « Brest Ultime Challenge ». Et lorsqu’on a ouvert la Route du Rhum aux plus de 60 pieds, on a appelé cela la catégorie Ultime. Personne n’utilisait ce terme avant », raconte Roland Tresca, directeur général adjoint du Groupe Télégramme, organisateur du premier tour du monde des Ultimes fin 2023 à Brest.

Pour les Ultimes, tout commence donc en 2010, à Saint-Malo, où la célèbre transat française s’ouvre à une nouvelle catégorie : dans l’avis de course, il est écrit : « Classe Ultime, multicoques de 60 pieds et plus ». L’idée est de donner un nouveau souffle aux multicoques, les classes Orma des trimarans de 60 pieds étant en déclin, et d’ouvrir la transat aux grands multicoques.

Au départ, Franck Cammas se présente avec Groupama, maxi-trimaran signé VPLP à la barre duquel il vient de battre le record du Trophée Jules-Verne (en 48 jours 7 h 44‘ 52’’) avec dix hommes d’équipage. Le défi est de taille, seul sur une machine de 31,50 mètres.





Avec un mât plus court pour le solitaire, le skipper de Groupama, qui a installé un vélo dans le cockpit pour border les voiles quand les forces lui manquent dans les bras, réalise une course parfaite : le 9 novembre 2010 après 9 jours, 3 h 14’47’’ de course, à 16,14 nœuds de moyenne, Franck Cammas remporte la Route du Rhum devant deux autres Ultimes, ceux de Francis Joyon (Idec Sport) et Thomas Coville (Sodebo). Les Ultimes deviennent la catégorie reine.

C’est quoi un Ultime ? - C’est un trimaran (il n’existe pas à ce jour de catamaran) de 32 mètres de longueur maximale pour 23 mètres de largeur maximale. La jauge Classe Ultim 32/23 a été entérinée par la Fédération française de voile le 29 janvier 2018.

Les principales caractéristiques de la classe Ultim sont :

24 m à 32 m de longueur- 23 m de largeur maximum

Garde à la mer supérieure ou égale à 1,70 m (pour les bateaux mis à l'eau après le 1er janvier 2015)

Tirant d’air ne pouvant être supérieur à 120 % de la longueur de coque la plus grande trouvée sur le bateau

Des règles modifiables tous les 4 ans (comité de surveillance, groupe d’experts, puissance du moteur, mouillages, réglage des appendices mobiles de coque, mode de qualification du skipper…)

Des règles modifiables chaque année, c’est-à-dire toutes celles qui ne font pas partie des règles inamovibles ou modifiables tous les 4 ans.

Collectif Ultime, Classe Ultim… Suite au succès de la Route du Rhum 2010, les coureurs et armateurs décident de se structurer. Ainsi, en 2013 naît le Collectif Ultim : on y trouve Banque Populaire, Macif et Sodebo. Ce Collectif Ultim (sans « e » à Ultime) décide que la longueur hors tout devra être comprise entre 23 mètres (minimum) et 32 mètres (maximum), ce qui exclut les MOD 70 et aussi Spindrift 2, plus grand trimaran de course au monde avec ses 40 mètres. Deux ans plus tard, le Collectif Utlime disparaît au profit de la Classe Ultim 32/23. Le Collectif est devenu une Classe et le « e » d’Ultime a disparu.





Qui court en trimaran Ultime ? - Naviguer en ultime, c’est comme jouer la Ligue des champions, c’est le top du top. L’exercice extrême, ultime. Naviguer en solitaire sur ces machines est un art réservé à une certaine élite, les meilleurs marins. À ceux surtout qui ont l’expérience du large, notamment en solitaire.

Ils se nomment Thomas Coville, François Gabart, Armel Le Cléac’h, Yves Le Blévec, Franck Cammas, Sébastien Josse, Charles Caudrelier et Francis Joyon même si ce dernier a toujours refusé d’intégrer la classe Ultime 32/23. Arthur Le Vaillant fait son entrée dans la classe en 2022. D’autres marins comme Anthony Marchand, Tom Laperche, Jean-Luc Nélias, Thomas Rouxel, Alex Pella ont aussi navigué en Ultime, en tant qu’équipier sur des transats en double ou en équipage.

Les courses en classe Ultim - Les Ultimes à la Route du Rhum

La première compétition des Ultimes fut donc la Route du Rhum 2010, remportée par Franck Cammas sur Groupama. Quatre ans plus tard, la suprématie des Ultimes ne se dément pas avec la victoire de Loïck Peyron. Le Baulois a remplacé fin août Armel Le Cléac’h qui s’est sérieusement blessé à la main.

Pour sa septième participation, Loïck Peyron s’impose en un temps record de 7 jours 15 h 8’32’’, à bord du maxi-trimaran Banque populaire VII, qui n’est autre que l’ancien Groupama victorieux avec Franck Cammas quatre ans plus tôt. Peyron devance d’un peu plus de 14 heures Yann Guichard qui a osé s’aligner au départ avec son maxi-trimaran de 40 mètres Spindrift 2 et de presque 24 heures Sébastien Josse sur Edmond de Rothschild, un Mod 70. En 2018, les Ultimes vont subir de la casse, avec les avaries de Sébastien Josse (étrave de flotteur tribord arrachée sur Gitana 17),

de Thomas Coville qui fera escale cinq jours à La Corogne avant de repartir, et surtout d’Armel Le Cléac’h, victime d’un chavirage sur Banque Populaire IX.






Ces "Formule 1 des mers" peuvent naviguer au-delà de 45 nœuds, soit près de 85 km/h.

Ils trépignaient d'impatience ! Les six navigateurs au départ de l'Arkéa Ultim Challenge se sont élancés ce dimanche 7 janvier 2024 sous un soleil radieux au large de Brest pour la première course autour du monde en solitaire sur trimaran, un périple fou à bord de navires surpuissants. Peu après 13h30, Charles Caudrelier (Maxi Edmond de Rothschild), Thomas Coville (Sodebo), Tom Laperche (SVR Lazartigue), Armel Le Cléac'h (Banque Populaire), Anthony Marchand (Actual) et Éric Péron (Adagio) ont coupé la ligne de départ sur leur voilier de 32 mètres de long avec, devant leur étrave, un parcours de 40.000 km autour du globe.

Il s'agit de la première course autour du monde en solitaire en trimaran.





Comment organise-t-on la course au large la plus extrême en solitaire et en Ultime ? Le point de départ, c’était de s’accorder avec les gens qui se sont engagés dans le projet sur les objectifs, sur le niveau d’ambition. Tout le monde s’est accordé pour dire que Brest, qui était la ville des records, avait besoin d’un grand évènement au format grande course au large française et qu’il fallait tout de suite mettre le curseur au niveau des grands évènements. L’épreuve en tant que telle n’est comparable à aucune autre parce qu’elle est tellement inédite, parce que c’est le défi sportif le plus extrême jamais réalisé, une aventure humaine alliée à une grande course.

Cette course n’a jamais eu lieu, ils ne sont que quatre aujourd’hui à avoir réussi un tour du monde sur des machines similaires, c’est tellement engagé de naviguer sur ces bateaux à ces vitesses-là, seul pendant 50 jours, cette course sort complètement du lot et elles est définitivement incomparable et hors du commun.






Les six marins de l’Arkéa Ultim Challenge-Brest ont pris le départ dimanche 7 janvier 2024 à 13h30 d’une des courses les plus importantes de leur vie. Véritables pionniers, ils tenteront de boucler leur premier tour du monde en solitaire, en multicoque et en course.

Six fantastiques à l’assaut d’un défi XXL ! Six pionniers : Charles Caudrelier, Thomas Coville, Tom Laperche, Armel Le Cléac’h, Anthony Marchand et Éric Péron, qui resteront à jamais les premiers à s’élancer sur ce défi XXL.

Charles Caudrelier, favori malgré lui. Charles Caudrelier, vainqueur de la dernière Route du Rhum, s’apprête à prendre d’assaut son quatrième tour du monde, le premier en solitaire en multicoque et en course. La régate ultime qui le fait rêver depuis tout petit. «  - Je rêvais de prendre la barre d’un bateau qui fait le trophée Jules-Verne. Je rêvais du Vendée Globe. Là, on me propose un Vendée Globe sur les bateaux du Jules-Verne. C’est génial. »

Thomas Coville, le Tour du Monde est son jardin. Thomas Coville a été l’homme le plus rapide autour du monde en 2016, en 49 jours et 3 heures. Mais le vainqueur de la Route du Rhum 98 en Imoca rêvait d’une course autour de la planète en solitaire en Ultime. Avec l’Arkéa Ultim Challenge, le skipper de 55 ans va enfin le vivre. «  - Ce n’est pas la compétition qui m’a plus tout de suite mais la voile dans un petit club de Saint-Brieuc. (…) Je commence la compétition et ça marche tout de suite.

Armel Le Cléac’h, surnommé « le chacal », né le 11 mai 1977 à Landivisiau (Finistère), est champion du monde IMOCA en 2008 et champion de France de course au large en solitaire en 2003 et 2020, il a notamment remporté la Solitaire du Figaro à trois reprises (2003, 2010 et 2020), ainsi que la Transat AG2R en 2004 et 2010, et la Transat anglaise 2016. Il est le premier marin à terminer trois fois le Vendée Globe sur le podium : deux fois deuxième lors des éditions 2008-2009 et 2012-2013, il remporte la huitième édition en 2016-2017 en 74 jours, 3 heures, 35 minutes et 46 secondes, ce qui fait de lui le recordman du temps de circumnavigation en solitaire dans cette épreuve. «  - C’est le côté aventure et découverte aussi qui prend le dessus. En 25 ans de carrière, je ne suis jamais allé au-delà de l’île de l’Ascension en multicoque. »





Pouvait-on prédire un tel succès populaire au village Arkéa Ultim Challenge Brest ? Les Ultimes et leurs skippers ont fait un carton plein pour un grand nombre de raisons, à commencer par l’esprit de défi et d’aventure que porte le format de cette course inédite.

1 – des bateaux impressionnants.

2 – des skippers qui forcent le respect.

3 – un puissant parfum d’aventure.

4 – une date idéale après les fêtes.

5 – la course qui manquait à Brest.




















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Les grands trimarans au départ de l’Arkéa Ultim Challenge - Brest sont le fruit de l’innovation bretonne. Un écosystème dont l’expertise nourrit les industries de pointe.

Alignés au quai Malbert, dans le premier bassin du port de commerce de Brest, à quelques jours du départ de l’Arkéa Ultim Challenge, les Ultimes sont devenus, en l’espace de six ans, l’un des emblèmes de l’excellence bretonne de la course au large. Une classe née de l’expérience des grands multicoques dessinés pour les records autour du monde. Des bateaux construits par les deux chantiers de référence : Multiplast, à Vannes, et CDK Technologies, à Lorient.

Ces trimarans volant de 32 mètres pèsent lourd dans l’économie bretonne de la course au large. D’abord par l’ampleur des budgets que les skippers ont dû mobiliser.

Jusqu’à 20 millions d’euros l’unité - L’annonce, avant même le départ de la régate du siècle, de la construction de Gitana 18, le nouvel Ultime du team Edmond de Rothschild, chez CDK technologies, donne le ton. Le coût de construction du trimaran est estimé autour de 20 millions d’euros. C’est plus que les 12 à 18 millions d’euros des précédents bateaux, selon la dernière étude de l’Agence de développement économique du pays de Lorient, consacrée aux retombées économiques de la course au large.

Pour le chantier lorientais, « c’est du travail pour 30 personnes à temps plein pendant deux ans », sourit Yann Dollo, son directeur général adjoint. Le chantier a notamment construit l’Ultime Banque Populaire XI et une partie de SVR Lazartigue.





La manne économique ne bénéficie pas seulement aux chantiers, dont la facture représente, en moyenne, 30 à 40 % du coût d’un bateau neuf, mais à tout un écosystème d’entreprises innovantes. Elles ont accompagné l’évolution des bateaux, Imoca et Ultimes en tête. Aux 220 entreprises de l’industrie et des services s’ajoutent presque autant de projets sportifs. Soit un total, pour la Bretagne, de près d’un millier d’emplois pour près de 90 millions d’euros de chiffre d’affaires.

À l’image du Team Actual, l’ancien Macif construit chez CDK. Derrière Anthony Le Marchand, c’est une véritable PME qui s’est installée à La Trinité-sur-Mer (56). « Elle emploie une vingtaine de personnes à l’année », souligne son directeur, Yves Le Blevec. Un projet dont le budget annuel avoisine les trois millions d’euros, « dont un tiers de masse salariale », quand les plus gros programmes, basés à Lorient, nécessitent près de 4,5 millions d’euros chaque année. Des sommes, là aussi, injectées dans l’économie locale.






La classe Ultim, c’est un peu la Ligue des champions de la course au large avec des machines ultra-sophistiquées. Mais combien coûte un maxi-trimaran volant neuf ? Et combien se négocie un Ultime d’occasion ?

Arkea Ultim Challenge - Brest, départ le dimanche 7 janvier - Difficile de connaître le prix exact d’un Ultime neuf à sa mise à l’eau. Tout d’abord parce que les sponsors et armateurs préfèrent rester discrets sur le sujet. Ensuite, parce qu’un Ultime n’est pas une Ferrari. Le prix n’est jamais connu à l’avance dans la mesure où il s’agit ici d’un produit qui n’existe pas en magasin. Les Ultimes sont tous des prototypes dont les prix varient en fonction des études effectuées en amont, du chantier et des architectes choisis, etc. Sans oublier que plusieurs grosses écuries sont en mesure de produire elles-mêmes des pièces de haute technologie, ce qui réduit la facture finale.

Gitana 17 à vendre entre 13 et 15 M€ - Néanmoins, il est illusoire de penser qu’à moins de 15 , on puisse s’offrir un maxi-trimaran volant dernier cri. On sait en revanche qu’à ce prix-là, on peut acquérir Gitana 17, bateau de référence qui a tout gagné. Cyril Dardashti, directeur de l’écurie Edmond de Rothschild, a déjà annoncé que le futur acquéreur allait devoir lâcher entre 13 et 15 M€ pour s’offrir le trimaran bleu. Le n° 17 sera remplacé par un Gitana 18, deuxième Ultime du team.





Ces dix dernières années, la maîtrise du vol a radicalement changé la donne en course au large. Les Ultimes sont aujourd’hui capables de voler vite, longtemps et en toute sécurité.

À quoi ça sert de voler au-dessus de l’eau ?

Tout simplement à réduire tout ce qui freine un bateau, à enlever les deux forces qui le ralentissent :

1. Le frottement de l’eau sur la coque.

2. La traînée hydrodynamique.

Tout ce qui touche l‘eau et qui dépasse dans l’air (mât, voiles, plate-forme) freine le bateau. Le but est donc de faire sortir les trois coques (coque centrale et deux flotteurs) de l’eau. Les plans porteurs permettent de soulever les coques et réduisent ainsi la traînée hydrodynamique de 75 %. Les foils fonctionnent dans l’eau comme les ailes d’un avion dans l’air.

Le vol est-il dangereux ? - Même si les vitesses sont aujourd’hui très élevées avec des pointes à 40 nœuds et plus, les Ultimes sont moins volages que les anciens trimarans de 60 pieds Orma : « C’est beaucoup moins casse-gueule qu’en Orma, affirme Loïck Peyron, qui a connu la navigation en Ultime et en Orma. Certes, tu vas beaucoup plus vite en Ultime mais tu y vas en étant stable, sans avoir peur toutes les deux minutes de chavirer ».

Avec les foils, on a des bateaux plus marins que ceux qui s’appuient sur des flotteurs. Les Ultimes volants sont moins violents, plus stables et sont capables, selon les allures, d’avoir des vitesses 30 % plus rapides ». Lorsqu’un Ultime vole, il ne reste plus grand-chose dans l’eau, entre 4 et 5 m².





Autre avantage des trimarans volants, la réduction du tangage car tous les appuis sont focalisés sur deux points. Sans oublier le passage dans la mer. Là où un trimaran classique va vite être freiné par l’état de la mer, un Ultime volant va pouvoir passer au-dessus.

En vol, un Ultime s’appuie sur le foil à 70 %, la dérive et son aile de raie à 20 % et les safrans (flotteur sous le vent et coque centrale) pour 10 à 15 %.

Le talon d’Achille des Ultimes se situe sous l’eau : avec deux foils, trois safrans (deux sur les flotteurs, un sur la coque centrale) et une dérive aile de raie, cela fait six points d’impact possible. La grande crainte des skippers est de taper un objet flottant non identifié ou un mammifère à haute vitesse.

Qu‘est-ce qui permet de voler aujourd’hui ? - En 1979, Éric Tabarly rêvait de faire voler son trimaran Paul Ricard. Mais il était en aluminium et la technologie des plans porteurs était balbutiante à l’époque. Ces 20 dernières années, les matériaux ont considérablement évolué, les calculs de structure et les nouveaux procédés de construction ont permis d’améliorer les qualités mécaniques des pièces. Sans oublier le carbone, dérivé du pétrole, qui reste le matériau le plus résistant à poids égal. La connaissance de l’art a également évolué dans les cabinets d’architectes, tous équipés de simulateurs de navigation haut de gamme, capables de mesurer et de modéliser les efforts d’un bateau sur ordinateur.

Sur les bateaux, tout a progressé : coques, bouts, voiles, électronique, qualité des pilotes automatiques. Autant de progrès technologique qui ont permis de faire un énorme bond en avant. « On ne reviendra pas en arrière. Le vol, c’est l’avenir », affirme Vincent Lauriot Prévost.