samedi 5 octobre 2013

Voir les Cévennes avec une ânesse médiatrice

D'où venait chez Stevenson cette conception morale de la randonnée comme une sorte d'ascèse? 







Dans son enfance maladive de petit Écossais  qui avait l'amour du pays natal chevillé au corps mais qui ne se portait bien que loin de son climat brumeux; dans l'adolescence bohème de ce fils de famille, en révolte contre son père dominateur qu'il n'aimait jamais tant que lorsqu'il était loin de lui et contre un puritanisme ambiant qui réglait pourtant toutes ses réactions dès qu'il se trouvait dans un autre lieu.








Déjà en proie à une irrésistible vocation d'écrivain, il vivait alors le drame d'un amour impossible pour une Américaine mariée mère de deux enfants, qui venait de repartir pour la Californie.







Le voyage dans les Cévennes avec un âne est pour Sevenson une étape initiatique, préludant à d'autres épreuves beaucoup plus dures qui le mèneront en dépit de tous les obstacles à la victoire de sa passion pour la femme aimée, Fanny Osbourne, et à l'épanouissement, grâce à elle, de ce génie créateur qui se manifestera, en une décennie, par une succession de livres cent fois réédités. 







Il reste à expliquer les raisons du très curieux itinéraire que Stevenson parcourut ainsi en douze jours. Il faut y voir, semble-t-il, la curieuse combinaison de l'impérieux désir, ancré dans son imaginaire de protestant d'Ecosse, de découvrir les Cévennes et, d'autre part, d'une banale erreur géographique...








Ce n'est faire insulte ni à la Haute-Loire, ni à la haute Lozère que d'affirmer que, dès son départ de Paris, Stevenson était attiré comme par un aimant par les Cévennes, les Cévennes mythiques de l'après-révocation de l'édit de Nantes, les Cévennes des assemblées clandestines du Désert, des prophètes inspirés, de la révolte des Camisards, de Jean Cavalier, de Roland, de tous ces personnages de légende qui mouraient sur le bûcher en louant Dieu et en récitant des versets bibliques...







Le petit Stevenson avait été nourri, dès sa prime enfance, des récits entendus de la bouche de sa brave et fanatique nourrice Alison Cunningham, dite Cummy, sur les péripéties sanguinaires des luttes claniques des Covenanters d'Ecosse.









Il était hanté par l'idée de confronter ces souvenirs  ayant marqué son enfance avec l'histoire similaire de ces frères de religion, de ces Covenanters méridionaux, s différents par leur tempérament et leur culture: les Camisards.







Pour voir les Cévennes, Stevenson est donc parti avec pour guide les mille pages en deux gros volumes imprimés en 1842 des Pasteurs du Désert de Napoléon Peyrat, l'un des premiers redécouvreurs de la légende des Camisards.








Et pourtant, dans ce journal de route qu'il tient  scrupuleusement, étape après étape, sur un cahier d'écolier conservé dans une bibliothèque américaine, le pays des Camisards n'apparaît qu'au début du troisième tiers des notes rédigées.







Pour comprendre la cause de cette erreur capitale de Stevenson dans le choix du point de départ de sa randonnée, il fat avoir sous les yeux l'une de ces cartes dessinées au milieu du XIXème siècle pour représenter la géographie de la France.








Le mot "Cévennes" en lettre capitales s'y étale largement sur tout le rebord sud-est du Massif central, presque de Carcassonne à Saint-Etienne! Les géographes du temps, soucieux de mettre en valeur les lignes de partage des eaux, considéraient que les Cévennes séparaient les bassins fluviaux de la Loire et de la Garonne des bassins rhodanien et méditerranéen... Ce que c'est d'avoir l'esprit Cartésien!







Stevenson, lui, se tire élégamment de ce mauvais pas. Son livre s'intitulera Voyage dans les Cévennes, mais arrivé, quatre jours avant la fin de sa randonnée, au sommet du mont Lozère, il baptisera le paysage qui s'ouvre devant lui "Cévennes des Cévennes", celles qu'il avait si longtemps cherchées, le pays Camisard.








L'erreur de parcours de Stevenson explique un certain nombre d'anomalies dans la description qu'il donne des sites parcourus du Velay et du Gévaudan. Notre jeune presbytérien d'Ecosse, si affranchi qu'il se prétende de la religion de ses pairs, n'a d'yeux que pour ce qui est protestant.







Jusqu'aux femmes auxquelles il ne fera des yeux doux qu'à partir du Pont-de-Montvert, avec Clarisse la servante d'auberge. N'est-ce pas une gageure que de ne pas avoir eu un mot  pour l'architecture religieuse de la ville du Puy, où il n'évoque dans une lettre à un ami qu'un pantagruélique repas?








N'est-il pas scandaleux d'ignorer au Monastier-sur-Gazeille l'antique église abbatiale de Saint-Chaffe? Même cécité pour le passé catholique du petit bourg de Pradelles (en particulier pour l'attaque qu'il subit de la part des huguenots en 1588!)