mardi 25 septembre 2012

Ile de SEIN, le 30 août 1946

 Pendant que l'été 2012 baigne l'île de son athmosphère sereine, je vous présente ici les scènes de vacances qui montrent l'ambiance décontractée et nonchalente qui règne sur ce merveilleux morceau de terre, battue par les embruns de l'Océan atlantique ou, souvent, caressée par les vaguelettes du ressac incessant. Si la Paix et la liberté sont ici les symboles vivants que les Sénans incarnent, c'est grâce au haut fait historique à jamais caractérisant l'âme de ce peuple d'irréductibles îliens bretons.
Le sermon ci-dessous retrace ce que nos arrière grands parents et grands parents ont bravé en période dramatique de guerre mondiale.

Voici le sermon prononcé par le recteur Louis Guillerm à l'île de Sein le 30 août 1946 à l'occasion de la visite du général De Gaulle venu remettre la Croix de la Libération à la commune:
Mon général, mes frères,
"- Nous sommes peut-être un peuple de vaincus, mais nous ne sommes pas et nous ne serons jamais un peuple d'esclaves!" criai-je un jour au chef des gasts (douane maritime allemande).
Non, Mon général, nous n'avons pas un tempérament d'esclaves et ils vous l'ont montré ces 133 îliens de 14 à 51 ans qui, répondant à votre  appel sont partis les 24 et 26 juin 1940 sur la VELLEDA, la ROUANEZ AR MOR, la ROUANEZ AR PEOC'H, la MARIS-STELLA et le CORBEAU DES MERS et, beaucoup plus tard sur l'YVONNE GEORGES.
Ils sont partis, beaucoup d'entre eux sans un sou, laissant leurs femmes et leurs enfants sans ressources, faisant le voyage de 30 à 40 au fond des cales de leurs petits bateaux pour ne pas attirer l'attention des avions ennemis mais prêts cependant à se défendre avec des armes qu'ils avaient déterrées et qu'un ardent patriote avait réparées pour eux.
 Nous n'avons pas cette âme d'esclaves. Témoin, cette femme (une mère, Mon général) qui me disait à l'annonce de l'Armistice: "- Monsieur le recteur, j'ai trois enfants sous les drapeaux, j'aurais préféré apprendre la nouvelle de leur mort que d'apprendre la défaite de la France!"
Elle n'avait pas cette âme d'esclaves, cette jeune fille emprisonnée par les Allemands qui lui demandaient pourquoi les femmes de Sein étaient toujours habillées de noir. "- En deuil de la France, messieurs!" fut la fière réponse.
Non, nous n'avons pas cette âme d'esclaves, nos hommes (vos hommes, Mon général) l'ont montré dès le début sur le COURBET en descendant le premier soldat allemand, puis seize autres venus bombarder la côte anglaise. Ils l'ont montré aussi ces 25 braves qui sont morts sur toute les mers du globe pour défendre le monde civilisé.
Ils l'ont montré ces marins qui ont pris part aux missions spéciales et dont l'un, sous le coup de condamnation à mort, pendant 102 jours eut la force d'âme de n'en rien faire connaître à sa femme qui lui rendit visite à Fresnes deux semaines durant, il l'a montré ce tout jeune homme que l'on ne trouvait pas assez fort pour embarquer, dont on voulait faire un vulgaire commis de marine et qui réussit à force de réclamations à se faire admettre dans le service des renseignements où il gagna le galon de capitaine. Et pendant ce temps, Mon général, ici, ouvertement et publiquement et avec notre coeur aussi, nous avons prié pour vous et pour la victoire.
Tous les dimanches, à la grand-messe, nous chantiuons (faisant un à-peu-près): Donaïne, Saloum fac Galliam... nous donnant ainsi le plaisir d'enfants de chanter devant tous, votre nom en même temps que celui de notre chère patrie.
 La France n'était-elle pas en ce moment, surtout pour tous les vrais Français, le pays de De Gaulle? Nous avons, tous les dimanches fait en chaire l'annonce suivante: Jeudi, à 7 heures, une messe sera dite pour tous, ceux qui sont partis au loin défendre le pays et un nocturne sera chanté pour ceux d'entre eux qui sont morts.
Tous les jours, à 2 heures (14h00), de pieuses femmes récitaient le chapelet à vos intentions comme les pleureuses antiques, multipliaient pour vous et pour la France les invocations et les supplications.
Un jour, au cours d'une explication avec l'officier allemand à qui nous étions allés nous plaindre, Monsieur Louis Guilcher, maire et moi de ce que l'un des soldats avait tiré sans provocation aucune sur un groupe de nos hommes à 7 heures du soir, je lui disais: "- Mon commandant, nous avons tous intérêt à faire observer avec une stricte justice le réglement porté. Vous êtes chez nous maintenant, nous avons été chez vous en 18 et 19, dans 20 ans ce sera peut-être encore notre tour d'occuper l'Allemagne!" Et lui me regardant avec un sourire plein d'orgueil me répondit: "- Jamais plus, Monsieur le pasteur, jamais plus!" Et je le quittais en disant: "- Qui sait?" Et ma prédiction n'a pas mis 20 ans à se réaliser, grâce à vous, mon général, grâce aux braves qui vous ont suivi sur le chemin de la victoire et de l'honneur.
  "Terribiles sunt brettons" disait déjà César ou quelqu'autre auteur latin; oui nos Bretons sont terribles à la guerre et ils l'ont montré encore cette fois-ci, sous votre commandement, Mon général.
Vous avez tous beaucoup souffert, je le sais  et nous aussi avons beaucoup souffert dans notre île, vivant parfois des semaines entières de patelles et pommes de terre. Mais que sont ces souffrances auprès de la liberté reconquise? Les Bretons sont têtus comme les Lorrains, Mon général, c'est souvent un grand défaut, c'est parfois aussi, et vous l'avez montré, une grande qualité. Vous nous aviez promis votre visite, nous n'avons cessé de la réclamer et c'est au moment où nous nous croyions oubliés de vous que vous êtes venus remplir votre promesse.
Merci, Mon général de l'honneur et du plaisir que vous nous faites. Désormais, plus que jamais, n'est-ce pas, mes anciens paroissiens, nous serons fidèles au chef que nous avons choisi; nous l'avons suivi dans le combat, nous le suivrons toujours dans les consignes qu'il donnera pour le relèvement de la France, cette douce France, le pays de Jeanne la bonne Lorraine. Nous voulons que cette France redevienne un pays entièrement libéré de toute entrave extérieure, redevienne un pays riche, puissant et paisible à la fois où il fera bon vivre unis comme des frères de même sang et où, Mon général, il vous sera doux un jour de mourir comblé de gloire, de mérites et d'années.
Que Dieu, Mon général, vous ait toujours en sa sainte garde! Amen.
Un style, un ton qui peuvent aujourd'hui paraître désuet ou excessif mais qui reflète le patriotisme naturel de l'époque.
Je viens de faire la démarche individuelle qui relève du devoir moral attribué à l'Etat français d'entretenir le souvenir des souffrances subies dans la passé par une certaine catégorie de la population. Cette journée qui se voulait de détente sur un site exceptionnel à deux titres: île remarquable et habitants héroïques. En fait elle m'a permis d'accomplir un devoir de mémoire où j'ai découvert la façon dont les Sénans commémorent le sacrifice involontaire des victimes et célèbrent dignement le sacrifice de leurs martyrs et de leurs héros.