vendredi 7 décembre 2018

Breton, tête de béton!


Les Bretons sont modestes mais fiers avec du panache. N’ayant peur de rien, c’est ainsi que les Bretons sont capables de tout oser comme celui de construire un lieu digne de l’Ile de Pâques en centre Bretagne avec des dizaines de statues de plusieurs mètres de haut sur lequel le temps n’aura pas de prise, comme organiser le plus grand défilé régional de musiciens sur les Champs Elysées ou se réapproprier la coupe de France de football lorsque Rennes est confronté à Guingamp en finale au Stade de France. 

Le lien n’est pas vécu comme dangereux ou envahissant par l’autre car le Breton se sent fort dans son identité et fait bien la différence entre lui et l’autre, entre l’extérieur et son intériorité. Aussi, il peut envisager le vivre ensemble de façon plus sereine. Cela se traduit par le nombre de fêtes populaires qui existent en Bretagne avec les Festnoz et l’entraide que l’on retrouve dans le mode du travail. Le Breton voyage de ce fait bien et forme une communauté bien identifiable partout dans le monde. D’ailleurs, à chaque évènement médiatique dans le monde, on retrouve souvent un drapeau breton. De la même façon, il existe des cercles bretons dans les quatre coins du monde. Les Bretons sont des voyageurs. Ils peuvent le faire facilement tout en gardant leur identité et leurs racines.

Le breton est ouvert. Fort de son identité, de ses valeurs et de sa légitimité, il ne se sent pas envahit et en insécurité par la présence d’un autre. La Bretagne est une des régions où le racisme a le moins de prise. Elle est aussi celle qui a eu le premier noir maire d’une ville de France. Celui-ci, un Togolais, a mis en place un conseil des anciens sous son mandat.



Le Breton ne juge pas si on ne l’embête pas. Il peut juste avoir une description un peu abrupte et fonctionnelle des choses. Il ne parlera pas de ses animaux mais de ses « bêtes ». Quand une poule ne pond plus, il la tuera pour manger plutôt que de se poser des questions existentielles. Son esprit est suffisamment occupé par tout cet imaginaire émotionnel pour qu’il déborde sur la réalité de son quotidien.

Les Bretons sont des voyageurs. On en trouve partout dans le monde tout en gardant leur identité. S’il existe une identité bretonne et une communauté bretonne, le Breton se sent libre et indépendant. Il n’a besoin de personne pour exister et il choisit ce qu’il a à faire en fonction de ce qui est important pour lui à cet instant et dans le contexte qui est le sien.


 Finalement le Breton est un pratiquant de l’ACT (Acceptation and comitmment therapy - La thérapie d’acceptation et d’engagement est une psychothérapie appartenant à la troisième vague des thérapies comportementales et cognitives (TCC)) avant l’heure. Le climat y fait beaucoup. Comme le temps est changeant puisqu’on dit qu’il fait beau plusieurs fois par jour, il faut faire ce que l’on veut faire en fonction du temps maintenant, car le futur météorologique est incertain. En outre, cette relation au temps a appris au breton à être « philosophe » et à ne pas trouver de gravité à l’instant présent. Il peut faire très mauvais maintenant et faire très beau quelques heures plus tard, notamment au changement de marée. En outre, il connaît et accepte le cours des choses. En gardant cette métaphore météorologique, il sait que s’il fait très beau, le lendemain, il y aura de grandes chances pour qu’il y ait des nuages car la terre fera sortir l’humidité que la chaleur a enfouit dans le sol. De la même façon, après du beau temps, il peut y avoir des brumes de chaleurs.

Les marées obligent aussi à être dans l’instant présent puisque si vous voulez vous baigner devant une mer qui vous fait envie, il vaut mieux le faire maintenant car la mer risque de ne plus être là plus tard tout comme le beau temps. Pour la pêche à pied cela fonctionne pareil, vous êtes obligés de composer avec le contexte.

Ces différents exemples expliquent que l’environnement écologique du breton l’ont obligé à savoir composer avec ce qui se présente à lui. D’ailleurs une bonne métaphore de la thérapie ACT est le bateau à voile. Pour avancer dans une direction vous êtes obligé de composer avec le courant et le vent quitte à devoir tirer des bords.

Tout cela pour vous dire que le Breton est, contrairement à la croyance populaire, flexible. Par contre, il est persévérant, engagé dans ses valeurs et constant dans le temps. Il n’est pas sensible à la séduction ce qui fait qu’il est difficile à manipuler. Tous ces éléments font qu’il peut donner une image de personne têtue. 


Le breton : une identité durable ? Avec la mondialisation et le brassage des populations qu’engendre le système économique actuelle, je ne sais pas combien de temps durera ce sentiment identitaire. En même temps, ce n’est pas très grave, si le bonheur et l’épanouissement de chacun peut s’exprimer dans l’altérité.

Ce qui plaît dans cette bretonnitude est que ce sentiment identitaire ne se vit pas contre autrui. Il ne nourrit d’aucune lutte et n’a pas besoin de se justifier. Il est pour soi et personnel. Il existe par essence. Au-delà de l’aspect identitaire, il s’avère que ces valeurs sont fonctionnelles dans la vie.

« Je ne revendique pas d’être Breton, je me sens breton et cela me va. » (je suis né à Briey en Meurthe-et-Moselle… mais je ne me suis jamais senti Lorrain ! 


Par définition, un Breton est un individu d’ascendance bretonne, de « sang breton » pourrait-on dire… Une définition courte est naturellement souple ou rigide, c’est selon… De nombreux cas particuliers peuvent ainsi mettre à mal la justesse de la définition de ce qu’est un Breton. Un « Le Goarec », né à Paris, dans une famille ayant gagné Montparnasse à la fin du 19ème siècle et ayant rompu tout lien avec son terroir natal est-il Breton ? Un Nantais, dont la famille est installée sur les rives de la Loire depuis toujours, mais hostile au rattachement de la Loire Atlantique à la Bretagne abdique-t-il son identité bretonne ou est-il Breton malgré lui ? Les enfants de couples nés dans un foyer au sein duquel un parent est Breton, l’autre Français ou étranger, sont-ils Bretons à part entière ou Bretons à 50% ?

Je me bornerai ainsi à définir quelques types de caractères bretons dégagés de mes rencontres avec « ceux du pays », en évitant l’écueil de sombrer dans les clichés régionaux… Je vois le Breton comme un individu contrasté, voire bipolaire : accueillant mais râleur, fêtard mais dépressif, fortement attaché à sa terre mais névrosé au point d’absorber les marqueurs identitaires de n’importe quelle contrée, pourvu qu’elle soit exotique…

Les Auvergnats seraient radins, les Bretons alcooliques, les Corses terroristes… Les généralités vont bon train.


Le Breton serait très fier de sa culture, (il ne tarit pas d’éloges sur son pays lorsqu’il en est en dehors !) aurait un caractère bien trempé, légèrement borné, et une tendance prononcée à abuser des breuvages alcooliques… Il serait aussi un peu rustre et peu bavard, allusion sans doute au vieux loup de mer que l’on dépeint souvent. Mais on parle moins de sa capacité de travail, aujourd’hui encore reconnue, de son goût pour le voyage (on retrouve un breton un peu partout dans le monde), son accueil plus que chaleureux et son sens de la fête.


Comparons comment sont définis d’autres peuples comme par exemple les Basques ou les Corses.

Le Basque serait doté d’une force à toute épreuve, fier de son pays et de sa gastronomie très diversifiée, droit et courageux mais un peu fourbe, parfois. Et il aurait la réputation de ne pas avoir un humour démesuré… Si l’on en croit les préjugés sur la population du Sud, le basque serait, tout comme son ami le Corse, un peu flemmard sur les bords…

Le Corse serait sombre, têtu et macho, peu aimable envers les touristes (surtout s’ils sont parisiens) qui viendraient à visiter sa précieuse île de beauté, enclin à faire sauter quelques bombes par ci-par là pour les effrayer ! Mais le Corse saurait aussi être généreux et attentif au bien-être de sa famille, très importante pour lui. Il a aussi la réputation d’être un tantinet susceptible et d’avoir le sang chaud, surtout si on le provoque… Une vraie force de caractère, en somme.


Les Bretons sont des gens charmants, mais pas forcément à première vue. Le sourire est rarement arboré dès la première rencontre. Nous avons la réputation par contre, une fois que le lien est établi, d'être extrêmement solidaire, à la vie à la mort. Je me souviens de vielles photos de grands aïeux qui ne donnaient pas du tout envie de les contredire. Certes les photos d'antan n'avaient pour objectif de montrer nos dents comme dans nos sociétés ORANGE, mais ils étaient particulièrement effrayants. Et pas seulement sur les photos. J'ai entendu parler de traits de caractères très forts, ce qui est une des caractéristiques et des revendications des Bretons. Beaucoup de femmes se retrouvaient seules à élever les nombreux enfants, et à tout gérer pendant que les hommes étaient partis plusieurs mois en mer. Elles étaient fortes et courageuses, et n'avaient le temps d'être douces, ni d'avoir des états d'âmes. Les conditions de vie étaient très difficiles il y a encore quelques années.

Le Breton est très fier de sa culture, de son caractère bien trempé, ainsi que de sa capacité de travail, qui lui est aujourd'hui encore reconnue. Je pourrais parler de l'excès de l'alcool en tout genre, eau de vie et compagnie, il faut dire que les hivers sont froids. 

Pour Ronan Le Coadic, sociologue et professeur de culture et langue bretonnes à l'université de Rennes, l'identité finistérienne se nourrit du "droit du cœur", du sentiment minoritaire et d'un certain art de vivre. Entretien.


Que pouvez-vous dire à propos de Bénodet, Quimper, Douarnenez et Concarneau ?

- La région que vous évoquez appartient à la Cornouaille, pays historique de Bretagne dont les habitants étaient jadis célèbres pour leur "brusquerie", si l’on en croit une ancienne expression en langue bretonne : Rust evel ur C’hernevad, "Brusque comme un Cornouaillais".

Par la suite ils acquirent la réputation d’aimer la fête, d’être bons musiciens et danseurs. La partie littorale porte l’empreinte de l’économie de la pêche et des conserveries. Un milieu rude, marqué par de vastes conflits sociaux. Rappelons la grève des penn sardin, ouvrières des conserveries de Douarnenez en 1924, qui fit céder un patronat déterminé et brutal, ou le conflit de la pêche de 1994, qui aboutit à l’incendie du Parlement de Bretagne, à Rennes.

Le combat des habitants de Plogoff contre la construction d’une centrale nucléaire, qui fit plier l’Etat en 1981, reste dans les mémoires, de même que le mouvement des Bonnets rouges, fin 2013, contre les suppressions d’emploi et l’écotaxe. Cette zone du Finistère appartient à la "diagonale contestataire", chère au géographe Pierre Flatrès.

Pour définir l’attachement à cette terre, vous utilisez l’expression "droit du cœur".

- Oui, car la plupart des Bretons ne limitent pas cette qualité aux seules personnes nées en Bretagne ou de parents bretons. Ainsi, près des deux-tiers d’entre eux (63%) considèrent qu'"on peut devenir breton si on aime la Bretagne, ses paysages, ses habitants ou sa culture", selon un sondage CSA-TMO réalisé en 2013. Voilà pourquoi cette notion de "droit du cœur", que j’emprunte à Loeiz Laurent, ancien directeur de l’Insee Bretagne, me paraît si juste.

48% des Français pensent que le principal trait de caractère des Bretons est l’entêtement. Ce stéréotype a-t-il un fondement ?

- Cette réputation est attestée depuis le Moyen Age et s’explique par leur persévérance à défendre une spécificité. Un des plus anciens textes du théâtre français, "le Privilège aux Bretons", met en scène un groupe de Bretons immigrés dans le Paris de Louis IX qui prêtent à rire parce qu’ils s’obstinent à se battre pour des droits qui paraissent ridicules à leurs contemporains.

Vous venez de publier un livre sur les Bretons et les migrations ("Bretagne : migrations et identité", éd. Presses universitaires de Rennes) dans lequel vous révélez que l’hostilité ressentie envers les étrangers est bien moindre ici que dans le reste de la France.

- 70% de la population française considère qu’il y a "trop d’étrangers en France aujourd’hui", tandis que seuls 21% des Bretons disent qu’il y a trop d’étrangers en Bretagne. Certains expliquent ceci par les valeurs catholiques, d’autres par le faible taux d’immigration, mais je pense qu’il faut chercher l’explication dans un faisceau de causes constitutif de la culture locale.

Le sentiment de bonheur de vivre est régulièrement affirmé, notamment dans les sondages, et les diverses formes de solidarité sont solides : solidarité familiale, densité du tissu coopératif, mutualisme, dynamisme associatif, covoiturage, échanges de services entre voisins…

Ensuite, le tissu social est dense, avec un maillage de villes moyennes dans un espace plus rural que la moyenne française, et les valeurs cohésives – comme le travail, l’honnêteté, la fidélité en amitié – demeurent. Enfin, il y a cette culture de résistance évoquée précédemment. Je crois que ce "Breton Way of Life" réduit l’hostilité à l’autre dans un pays, par ailleurs, très sensible au fait minoritaire.

Vous avez justement publié un essai sur les Bretons, les Indiens et les Kabyles ("Bretons, Indiens, Kabyles… Des minorités nationales ?" Presses universitaires de Rennes). Peut-on vraiment envisager les Bretons comme une minorité ?

- Oui, si l’on raisonne en sociologue. Est minoritaire tout groupe qui, en raison de ses origines ou de ses particularités linguistiques, culturelles ou religieuses, subit une domination.

Il existe une grande diversité de minorités, parmi lesquelles les "minorités nationales", conceptualisées par le philosophe canadien Will Kymlicka : ce sont des sociétés autrefois autonomes qui ont été intégrées à un Etat plus vaste. C’est le cas de la Bretagne, conquise militairement en 1491, annexée par un édit du roi de France en 1532 et privée de toute autonomie en 1789. Le Festival de cinéma de Douarnenez, initialement intitulé "Festival des minorités nationales", est une bonne occasion de prendre la mesure de cette sensibilité aux questions minoritaires.

Cette année, pour sa quarantième édition (du 18 au 26 août), il a pour thème "la frontière", avec des films aborigènes, papous, kanaks, roms, maoris, catalans, kurdes, mapuches, bretons, et d’autres.
Faudrait-il voir les Bretons comme des colonisés ?

- L’expression peut faire sourire. Michelet écrivait pourtant, en 1831, que "la Bretagne est une colonie comme l’Alsace et les Basques, plus que la Guadeloupe". De même, selon l’historien américain Eugen Weber, l’Hexagone est un empire colonial qui s’est formé au cours des siècles. Il estime même que "les plus grandes possibilités coloniales, naturellement, étaient offertes par la Bretagne".

Néanmoins, en Afrique ou ailleurs, la colonisation s’est accompagnée d’une privation de droits. Les Bretons, eux, ont toujours été des citoyens français à part entière. Une approche plus nuancée a donc vu le jour : le "colonialisme intérieur", introduit en France par l’écrivain occitaniste Robert Lafont.

Vos recherches font apparaître une forme de "complexe breton" dû aux origines paysannes de ce peuple – des "ploucs", disait-on…

- Ce "complexe" des Bretons ne leur est pas venu spontanément. Leur image a été manipulée au XIXe siècle par des auteurs qui concevaient "le Breton" – et à travers lui "le paysan" en général – en fonction des valeurs du groupe social auquel ils appartenaient. Lorsque l’ordre semblait menacé par la chouannerie, le Breton fut décrit comme un sauvage.

Lorsque la paysannerie apparaissait comme le soutien de l’Etat face au socialisme, le Breton fut paré de vertus. Lorsque la bourgeoisie a eu besoin de bras, le Breton est devenu ridicule. Cette dernière représentation s’est figée avec, notamment, les chansons de Théodore Botrel ou la bande dessinée "Bécassine", laissant un goût amer aux Bretons.

A cela s’ajoute le rôle paradoxal de l’école.

Oui. La Terreur (1793-1794) avait d’abord vitupéré – au nom de "la plus belle langue de l’Europe" (le français). Mais il a fallu attendre la IIIe République pour qu’une politique active de lutte contre les langues régionales soit mise en place, dont l’école a été l’instrument essentiel.

Quand un enfant était surpris à parler breton, un objet infamant – appelé le "symbole" – lui était imposé, dont il ne pouvait se défaire qu’en l’attribuant à un autre qu’il surprenait à son tour à parler breton. Et le dernier élève de la journée à porter ce symbole était puni. On y gagnait une douloureuse honte envers sa langue et sa culture. Ce sentiment a été particulièrement vif dans les années 1950.

Puis, à la fin des années 1960 et dans les années 1970, la Bretagne a connu, comme toutes les minorités nationales à travers le monde, un mouvement de renaissance. Aujourd’hui beaucoup se disent volontiers "fiers" d’être bretons mais le complexe demeure de façon latente.On voit un autocollant, "A l’aise Breizh", un peu partout. Que faut-il comprendre ?
- Les personnes qui l’apposent sur leur voiture ignorent qu'"A l’aise Breizh" est une marque, qui génère un chiffre d’affaires de sept millions d’euros. Sans doute veulent-elles à la fois affirmer qu’elles sont bretonnes et exprimer qu’elles ne souhaitent pas dépenser d’énergie à réfléchir à leur identité, ne pas "se prendre la tête". C’est une forme de désamorçage de la bretonnité.