vendredi 10 mars 2017

Voyage de l’apôtre Mathieu


Pointe Saint-Mathieu – Jusqu’au bout de l’ancien monde.
« Toute cette côte est un cimetière. […] [C]’est la limite extrême, la pointe, la proue de l’ancien monde. Là, les deux ennemis sont en face, la terre et la mer, l’homme et la nature », écrivait Jules Michelet. Suprême défi, cette « côte funèbre » serait aussi le terme de l’extraordinaire voyage de l’apôtre Mathieu.

La pointe du Finistère, sur le territoire de Plougonvelin, en bas Léon, la falaise déchiquetée et couverte de landes de la pointe Saint-Mathieu, battue par les vents et fouettée par les flots, porte un phare, un sémaphore, le mémorial national aux marins morts pour la France, et les vestiges d’une abbaye bénédictine du bout du monde, Saint-Mathieu de Fine-Terre.

De l’église abbatiale, construite au XIe siècle, plusieurs fois ravagée et maintes fois remaniée jusqu’à la fin du XVe siècle, subsistent des murs romans et gothiques connotés d’influences Plantagenêt et normandes. Un pardon s’y déroule encore dans la nef à ciel ouvert ; il puise ses origines dans un récit aussi ancien que légendaire.

Le crime de saint Tanguy. La tradition assure que, au VIe siècle, la pointe Saint-Mathieu était la terre de Tanguy, fils du seigneur de Trémazan. Ce prince guerrier, formé à la cour de Childebert, est dupé par sa marâtre à son retour dans la maison paternelle, et décapite sa propre sœur Haude, accusée de débauche, pour laver l’honneur de la famille. Or, sous ses yeux horrifiés, Haude prend sa tête entre ses mains et clame son innocence. Tanguy se repentira toute sa vie. Il rejoint saint Pol Aurélien, puis fonde l’abbaye Saint-Mathieu de Fine-Terre. Il y sera inhumé et son tombeau fera très tôt l’objet d’un culte populaire, associé à celui de sainte Haude.

De l’Egypte à la Bretagne. Trois siècles plus tard, des navigateurs du Léon partent en expédition pour l’Egypte pour soustraire aux infidèles le corps de saint Mathieu, apôtre et évangéliste, et, dit-on, évangélisateur de l’Ethiopie, où il serait mort en martyre. Saint Mathieu lui-même les aurait priés de rapporter sa dépouille en terre chrétienne. Au retour d’un périple qui aura duré trois ans, ils sont sur le point de faire naufrage à la pointe de la Bretagne quand le rocher qu’ils allaient heurter s’ouvre en deux pour leur frayer un passage. C’est ainsi que les restes de saint Mathieu vont pouvoir reposer dans l’abbatiale qui lui est consacrée, au moins pendant quelque temps. Car, à la fin du Xe siècle, les Normands détruisent l’abbaye, dérobent la précieuse relique et l’emportent dans le sud de la péninsule italienne, à Salerne, où on lui a construit un tombeau et, au-dessus une cathédrale. Cependant, Hervé 1er, vicomte de Léon, rapportera sa tête à la pointe Saint-Mathieu en 1206. Ce crâne y sera conservé et vénéré jusqu’à la Révolution.

Sur le promontoire le plus occidental de l’Europe septentrionale et continentale, le chef de saint Mathieu fait donc écho à celui de sainte Haude. Le voyage miraculeux de l’apôtre ou celui de saint Jacques, dont on assure à Locquirec qu’il s’est échoué dans la baie de Morlaix et non pas à Compostelle, semblent être les versions bretonnes de ces épopées irlandaises dont les héros mythiques voguent à la recherche de la Terre promise de l’autre monde. « Ici se termine l’ancien monde, écrit Flaubert, à la pointe Saint-Mathieu ; voilà son point le plus avancé, « sa limite extrême ». Derrière vous est toute l’Europe, toute l’Asie ; devant vous, c’est la mer et toute la mer. »
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« Rien de sinistre et de formidable comme cette côte de Brest ; c’est la limite extrême, la pointe, la proue de l’ancien monde […] L’écume vole jusqu’à l’église où les mères et les sœurs sont prière » - Jules  Michelet.
POINTE SAINT-MATHIEU.

Abbaye de Saint-Mathieu. Selon la légende, l’abbaye dont il ne subsiste aujourd’hui que des ruines et qui porte le nom de Saint-Mathieu-Fin-de-Terre (Loc Mazé Penn ar Bed) aurait été fondée au VIème siècle par Tanguy, en expiation du meurtre de sa sœur Heude. Cette histoire merveilleuse commence au château de Trémazan, où le fils du seigneur des lieux, Guirguy, influencé par les médisances de sa belle-mère, tue sa sœur.

Guirguy se rend alors auprès de l’évêque du Léon, Paul Aurélien à qui il demande de fixer sa pénitence. Celui-ci le rebaptise Tanguy (Tan « le feu ») et fait de lui l’abbé du Relec.

De son côté, son père lui cède des terres lui appartenant au cap de Penn ar Bed (le bout du monde). Là, quelques années après, ému  par le miracle de marins sauvés d’un naufrage grâce aux reliques de saint Mathieu qu’ils transportaient, Tanguy fit construire un monastère à la gloire de l’apôtre. En réalité l’abbaye date probablement du XIème siècle.

Pillée de multiples fois, particulièrement en 1558 par les Anglais et les Hollandais, elle fut rapidement restaurée grâce à l’abbé Claude Dodieu. Elle fut ensuite occupée à partir de 1655 par les Bénédictins réformés de Saint-Maur. En 1790, pendant la Révolution, les quatre derniers moines partirent. Livrée au pillage, elle fut ensuite démolie pour vendre les pierres. La chapelle voisine NOTRE-DAME-de-GRACE, restaurée en 1861, abrite quelques statues dont celle de Tanguy armé de l’épée qui ta sa sœur.


Gibet des moines. Ce nom, donné improprement à deux stèles christianisées, rappelle que les moines de Saint-Mathieu disposaient du droit de haute justice.


Phare de Saint-Mathieu. L’ancienne « tour à feux », entretenue par la Marine à partir de Louis XIV, a été remplacée en 1773 par une lanterne vitrée contenant douze lampes à huile et miroirs d’une portée d’une dizaine de kilomètres. Le phare actuel, qui se visite, s’élève à 25 m au-dessus du sol et 54 m au-dessus du niveau de la mer. Il date de 1835 m et sa portée lumineuse est de 52 km.


De l’abbaye au phare. « Votre imagination vous permettra de vous représenter l’existence de ces bénédictins de la Pointe Saint-Mathieu, Bretons, Irlandais et Gallois, bêchant  toute la journée leurs champs rocailleux, et, dès la tombée de la nuit, éclairant bénévolement, uniquement parce qu’il faut aider son prochain, les navigateurs et les pêcheurs déjà nombreux à cette époque. » Louis Le Cunff – Feux de mer, 1957