samedi 12 octobre 2013

Didier du bout du Monde: Où va l’Europe militaire ?

Didier du bout du Monde: Où va l’Europe militaire ?

Où va l’Europe militaire ?

La recomposition d’un secteur de défense.
Nous vivons décidément des temps nouveaux où les fragiles régulateurs de la guerre froide se déplacent vers des points d’équilibre précaires, bien en peine de produire les effets de stabilité et de sécurité qu’attendent des opinions publiques avides de prospérité et inquiètes des tensions et incertitudes produites par une dérégulation socio-économique générale. L’été 2013, chargé de convulsions tragiques, notamment en Egypte et en Syrie, l’a rappelé à tous. En France et en Afrique, plusieurs dilemmes structurels le soulignent. La recomposition générale d’un secteur de défense hérité de la guerre froide se poursuit. Elle durera encore longtemps en France, en Europe, en Afrique et dans le monde.
Où va l’Europe militaire ?
Avec la perspective générale de la question militaire européenne, on voit bien que la valeur du temps long de l’histoire aide à décoder les tensions du présent. La panne observée de l’Europe dite de la Défense n’est pas d’essence militaire mais d’ordre politique, c’est le flottement actuel du projet européen qui l’explique.
C’est d’un électrochoc qu’a besoin la bin mal nommée Europe de défense pour clarifier ses concepts, redonner confiance en la PSDC et enclencher un processus vertueux et pragmatique, et pour la sortir de l’ornière où la confusion et le manque d’ambition l’ont confinée.
L’Europe de la défense est-elle en panne ? Beaucoup évoquent les difficultés voire la panne de l’Europe de la défense. Ils en prônent la relance. Or, contrairement à l’idée admise, l’Europe de la défense n’est pas une réalité clairement définie au service d’une vision stratégique commune mais un ensemble d’initiatives multilatérales ad hoc. Sa concrétisation nécessite une approche politique plus ambitieuse, à même de lui donner une vraie légitimité.
Europe de la défense, Europe militaire, un débat désespérant ? (colonel J. Pellistrandi)
Il y a des sujets complexes de géopolitique, réservés aux experts et aux diplomates, faisant l’objet d’études et d’articles dans les revues spécialisées, mais sans grands échos dans les opinions publiques.  Le futur de l’Otan post 2014 en est l’exemple. Et il y a des sujets qui fâchent, parce qu’ils cristallisent les passions, réveillent les vieux clivages et déchirent alors les opinions. L’Europe en fait partie et sa dimension « défense » y contribue. Tout a été écrit sur le sujet, les colloques, les journées d’études, les initiatives, ne cessent de se succéder, vantant pour les uns le projet européen, critiquant pour les autres l’incapacité collective à proposer une perspective viable. Or, il y a urgence à redonner du sens au projet européen, à l’heure où quasiment tous les pays, y compris la France, baissent leur budget consacré à la défense, et avant que les non-choix irréversibles deviennent inéluctables.
Pour certains responsables, français ou étrangers, la défense européenne qui, en vingt ans, n’a jamais acquis de véritable crédibilité serait une cause désormais sinistrée, un projet tôt ou tard destiné à rejoindre la CED et l’UEO au cimetière des idées sans portée.  
Pour d’autres qui ne partagent pas ce sombre pronostic, la période, de toute façon ne serait guère propice. La crise économique et politique que traverse l’Union européenne, relègue les questions de défense au second rang des préoccupations et des agendas diplomatiques.
Un manque récurrent de confiance dans la PSDC.
Les problèmes que rencontrent à présent tous les pays de l’Union européenne pour financer leur défense devraient les inciter à rationaliser et à partager les moyens de leurs forces armées. Les très fortes contraintes budgétaires qui pèsent sur les crédits d’acquisition des matériels de guerre favorisent logiquement l’intégration des appareils militaires et des industries d’armement en Europe. L’optimisation voire simplement le maintien à niveau des arsenaux et des compétences technologiques apparaît d’ailleurs à ce prix.
Le bon sens se heurte à un manque récurrent de confiance dans la PSDC. Pour des raisons à la fois politiques et pratiques, l’UE peine à s’imposer comme le cadre le plus pertinent du formatage de l’outil militaires européen. On seulement il y a la concurrence de l’Otan qui propose depuis déjà longtemps le financement commun de certaines capacités, ce que la récente initiative Smart défense vise à systématiser, mail il y a aussi la voie des coopérations limitées qui, à l’instar des programmes multinationaux gérés par l’Occar, ont déjà fait leur preuve.
La défense européenne pâtit en fait d’une faible appétence des Etats européens et d’un manque de confiance entre eux. Les uns craignent de perdre ce qui leur reste encore de prérogatives de puissance. Quant aux autres, de moindre prétention, ils redoutent de se voir forcer la main. 
En matière de défense, on bute nécessairement très vite sur la question de la souveraineté. Or, depuis 2008, presque chaque jour apporte la démonstration que l’on ne peut pas transférer impunément à l’échelon supra national une compétence régalienne, comme celle de battre monnaie, en faisant fi des modalités de sa gouvernance politique.


Contre une austérité à perpétuité. Sortir de l’euro ?

«  - En fait, nous sommes déjà sortis de la zone euro », a admis Nicos Anastasiades, président de Chypre, un pays où les billets n’ont plus la même valeur qu’en Grèce ou en Allemagne. L’explosion de la monnaie unique aurait-elle commencé ? Contre le scénario du chaos, l’idée d’une sortie de l’euro concertée et organisée fait son chemin. Beaucoup continuent à croire qu’on va changer l’euro. Qu’on va passer de l’euro austéritaire présent à un  euro  enfin rénové, progressiste et social.

L’euro actuel procède d’une construction qui a eu pour intention de donner toute satisfaction aux marchés de capitaux et d’organiser leur emprise sur les politiques économiques européennes. Tout projet de transformation significative de l’euro est un projet de démantèlement du pouvoir des marchés financiers et d’expulsion des investisseurs internationaux du champ de la construction des politiques publiques. Jamais les marchés ne laisseront s’élaborer tranquillement un projet qui a pour évidente finalité de leur retirer leur pouvoir disciplinaire. Sitôt qu’un tel projet commencerait d’acquérir un tant soit peu de consistance politique et de chances d’être mis en œuvre, il se heurterait à un déchaînement de spéculation et à une crise de marché aiguë qui réduirait à rien le temps d’institutionnalisation d’une construction monétaire alternative, et dont la seule issue serait le retour aux monnaies nationales.

La gauche-qui-continue-d’y-croire n’a le choix qu’entre l’impuissance indéfinie ou bien le retour aux monnaies nationales, son projet de transformation de l’euro commencerait à être pris au sérieux.
La gauche ? Certainement pas le Parti socialiste (PS) qui n’entretient plus avec l’idée de gauche que des rapports d’inertie nominale, ni la masse indifférenciée de l’européisme, qui, silencieuse ou béate pendant deux décennies, vient de découvrir les tares de son objet chéri et réalise, effarée, qu’il pourrait bien partir en morceaux.
Mais on ne rattrape pas en un instant une aussi longue période de sommeil intellectuel bienheureux.
File:50 Eurobanknoten in der Hand aufgefaechert.JPG
L’européisme protestera que son Europe aimée ne cesse au contraire de faire des congrès. Fonds européen de stabilité financière (FESF), mécanisme européen de stabilité (MES), (deux fonds d’assistance aux pays endettés), rachat de dette souveraine par la BCE (programme de la BCE de rachat de titres souverains), union bancaire : autant d’avancées sans doute un peu douloureusement acquises mais bien réelles. Malheureusement, aucune ne s’en prend au cœur même de la construction, ce noyau dur dont émanent tous les effets dépressionnaires et antidémocratiques : exposition des politiques économiques aux marchés financiers, banque centrale indépendante, obsession anti-inflationniste, ajustement automatique des déficits, refus d’envisager leur financement monétaire. 
File:Euro banknotes.png
Ainsi, les avancées demeurent-elles périphériques, rustines destinées à accommoder comme elles peuvent les plus désastreuses conséquences que le cœur granitique et sanctuarisé, ne cesse de produire.

Ravaudant les effets sans jamais vouloir s’en prendre aux causes, l’Europe, donc, persévère. Incapable de la moindre révision de fond, et inconsciente du fait que la rupture est le seul destin qu’elle se donne. (Frédéric Lordon in Le Monde diplomatique – août 2013)