jeudi 9 août 2012

Brest-Douarnenez: une apothéose

Ce matin-là, les équipages  partent en récupérant leurs amarres. La veille, le dernier soir, on s'est rapproché un peu plus, on s'est promis de se revoir, à Douarnenez, à Ouessant ou ailleurs. On a échangé des numéros de téléphone ou des adresses, histoire de continuer la fête autrement, en attendant la suivante. Quelques gorges se serrent.



   Les passes ne sont pas franchies, pourtant, que la nostalgie est oubliée. Brest fait bien les choses: pour le dernier jour, elle offre à ses invités une apothéose, un final comme personne n'aurait osé en rêver: toute la flottille d'un seul trait vers les falaises de Pen Hir.



Puisque la fête née en fond de Rade avait trouvé sa forme à Douarnenez, " il était naturel qu'elle y retourne systématiquement après son tour de chant à Brest ", expliquent les organisateurs.




Dès 1992, le principe était validé et les deux ports d'accord pour coordonner leurs dates. Mais personne ne savait comment s'organiserait cette armada de milliers de bateaux longeant les falaises les plus découpées du Finistère.



"Nous n'avions pas la moindre idée de comment nous y prendre pour éviter que la flotte ne s'embouscaille" se souvient l'Amiral Stéphan. Les organisateurs donc s'inspirent du... cross de Paris.



Trois lignes de départ successives constituées en fonction des aptitudes de chacun: les plus rapides en avant de la troupe, les moins véloces en arrière et le reste entre les deux. Ainsi, tout le monde part en même temps mais le flux reste homogène.



L'option, efficace pour les coureurs, est appliquée aux navires, et les instructions de course distribuées, avec carte et heures de marées, précisent à quelle ligne de départ chacun est censé se vouer.




  "PC mer, PC mer d'Arawak: Merci à tous!" "PC mer, PC mer, from Sedov: Merci beaucoup." En français dans le texte, en anglais, en riant ou avec une drôle de voix étranglée, deux à trois cents skippers rendent hommage aux organisateurs en quittant le port du Ponant.



Au même moment, au Moulin Blanc, dans les criques de la Rade, à Camaret, Morgat, Douarnenez, pics-nics et cirés, bouteilles de blanc et crème solaire embarquent au p'tit bonheur: des kayaks aux dériveurs en passant par les bateaux de plaisance les plus modernes, tout ce que la mer fait flotter semble s'être réveillé de bonne heure ce matin de juillet. Le mélange des genres est farfelu.



A terre, même fébrilité, sur quatre roues. De tous les coins du département, des nuées de curieux affluent sur la côte. Certains ont cogité leur point de vue le plus avantageux et rameuté quelques chanceux par le chemin de terre "où l'on verra le mieux". Perchés sur les falaises, les cailloux, les toits, la foule grossit et les parkings sont pris d'assaut.



La Rade se remplit, le haut des falaises prend une drôle de couleur. Noire. Noire de monde. D'un monde qui n'en croit pas ses yeux.



Les trois-mâts font les stars, bien sûr, mais leurs phares carrés battent de l'aile, tristes sires que le vent boude. Les petits canots, les chaloupes et même les goélettes sont plus rapides à saisir la brise dans leurs filets.





 Regaillardis par ce temps de demoiselle, les gars jouent les filles de l'air dans les vergues tandis que le Belem parade en tête de cortège. Brest joue le dernier mouvement de sa symphonie.


Certains chantent, d'autres boivent, mais la plupart des acteurs de cette grand messe de la voile ont le bonheur discret. Le défilé glisse à pas de loup entre les griffes de pierre. Le frisson court avec lui, de proche en proche, touchant les visages comme une grâce.



 Ce moment-là, c'est comme une risée de l'âme. Il gonfle les voiles du dedans et donne à chacun des airs d'anges. Déjà, la flotte s'évanouit. Elle double le Cap de la Chèvre pour renaître en Baie de Douarnenez où se poursuit l'euphorie.



A Brest, le siège est levé. Brise de l'âme. Brise de mer. Brise de larme. Gorge serrée. Calme retrouvé. A-t-on rêvé? Non, la fête a laissé sur le quai une mémoire pailletée d'or. Brest murmure: "Je suis heureuse de vous offrir la joie que je lis dans vos yeux.(*)" Pour cette joie, merci à tous.



  *: mots de Pilippe Monet, à l'arrivée de son tour du monde à l'envers en 2000.



13h00: Pasage des Tas de Pois.Hélicos et vedettes nous harcèlent. Nous devons être beaux à voir, ainsi parés, bord à bord. Tout le monde en gourmet savoure le spectacle.



" Ils sont marins et ils vienent à la rencontre de gens qui ne connaissent ni le hunier, ni l'artimon, ni les vents thermiques, ni la droite de hauteur, mais qui veulent bien - en France, ce n'est pas acquis - penser que la mer seule fait le tour du monde." H. Hamon



 "En juillet, quand la fête se termine, on se dit toujours: "Plus jamais". Et quelques mois plus tard, on est prêt à re-signer car l'expérience est violente, mais passionnante, extraordinaire et humainement magique." Pascal A, organisateur.



Ce texte est tiré du livre de Sandrine Pierrefeu, voyageuse aux semelles de vent: 20 ans de fêtes maritimes à Brest.