Les grands trimarans au départ de l’Arkéa Ultim Challenge -
Brest sont le fruit de l’innovation bretonne. Un écosystème dont l’expertise
nourrit les industries de pointe.
Alignés au quai Malbert, dans le premier bassin du port de
commerce de Brest, à quelques jours du départ de l’Arkéa Ultim Challenge, les
Ultimes sont devenus, en l’espace de six ans, l’un des emblèmes de l’excellence
bretonne de la course au large. Une classe née de l’expérience des grands
multicoques dessinés pour les records autour du monde. Des bateaux construits
par les deux chantiers de référence : Multiplast, à Vannes, et CDK
Technologies, à Lorient.
Ces trimarans volant de 32 mètres pèsent lourd dans
l’économie bretonne de la course au large. D’abord par l’ampleur des budgets
que les skippers ont dû mobiliser.
Jusqu’à 20 millions d’euros l’unité - L’annonce, avant même
le départ de la régate du siècle, de la construction de Gitana 18, le nouvel
Ultime du team Edmond de Rothschild, chez CDK technologies, donne le ton. Le
coût de construction du trimaran est estimé autour de 20 millions d’euros.
C’est plus que les 12 à 18 millions d’euros des précédents bateaux, selon la
dernière étude de l’Agence de développement économique du pays de Lorient,
consacrée aux retombées économiques de la course au large.
Pour le chantier lorientais, « c’est du travail pour 30 personnes à temps plein pendant deux ans », sourit Yann Dollo, son directeur général adjoint. Le chantier a notamment construit l’Ultime Banque Populaire XI et une partie de SVR Lazartigue.
La manne économique ne bénéficie pas seulement aux
chantiers, dont la facture représente, en moyenne, 30 à 40 % du coût d’un
bateau neuf, mais à tout un écosystème d’entreprises innovantes. Elles ont
accompagné l’évolution des bateaux, Imoca et Ultimes en tête. Aux 220
entreprises de l’industrie et des services s’ajoutent presque autant de projets
sportifs. Soit un total, pour la Bretagne, de près d’un millier d’emplois pour
près de 90 millions d’euros de chiffre d’affaires.
À l’image du Team Actual, l’ancien Macif construit chez CDK.
Derrière Anthony Le Marchand, c’est une véritable PME qui s’est installée à La
Trinité-sur-Mer (56). « Elle emploie une vingtaine de personnes à l’année »,
souligne son directeur, Yves Le Blevec. Un projet dont le budget annuel
avoisine les trois millions d’euros, « dont un tiers de masse salariale »,
quand les plus gros programmes, basés à Lorient, nécessitent près de 4,5
millions d’euros chaque année. Des sommes, là aussi, injectées dans l’économie
locale.
La classe Ultim, c’est un peu la Ligue des champions de la course au large avec des machines ultra-sophistiquées. Mais combien coûte un maxi-trimaran volant neuf ? Et combien se négocie un Ultime d’occasion ?
Arkea Ultim Challenge - Brest, départ le dimanche 7 janvier - Difficile de connaître le prix exact d’un Ultime neuf à sa mise à l’eau. Tout d’abord parce que les sponsors et armateurs préfèrent rester discrets sur le sujet. Ensuite, parce qu’un Ultime n’est pas une Ferrari. Le prix n’est jamais connu à l’avance dans la mesure où il s’agit ici d’un produit qui n’existe pas en magasin. Les Ultimes sont tous des prototypes dont les prix varient en fonction des études effectuées en amont, du chantier et des architectes choisis, etc. Sans oublier que plusieurs grosses écuries sont en mesure de produire elles-mêmes des pièces de haute technologie, ce qui réduit la facture finale.
Gitana 17 à vendre entre 13 et 15 M€ - Néanmoins, il est illusoire de penser qu’à moins de 15 , on puisse s’offrir un maxi-trimaran volant dernier cri. On sait en revanche qu’à ce prix-là, on peut acquérir Gitana 17, bateau de référence qui a tout gagné. Cyril Dardashti, directeur de l’écurie Edmond de Rothschild, a déjà annoncé que le futur acquéreur allait devoir lâcher entre 13 et 15 M€ pour s’offrir le trimaran bleu. Le n° 17 sera remplacé par un Gitana 18, deuxième Ultime du team.
Ces dix dernières années, la maîtrise du vol a radicalement
changé la donne en course au large. Les Ultimes sont aujourd’hui capables de
voler vite, longtemps et en toute sécurité.
À quoi ça sert de voler au-dessus de l’eau ?
Tout simplement à réduire tout ce qui freine un bateau, à
enlever les deux forces qui le ralentissent :
1. Le frottement de l’eau sur la coque.
2. La traînée hydrodynamique.
Tout ce qui touche l‘eau et qui dépasse dans l’air (mât,
voiles, plate-forme) freine le bateau. Le but est donc de faire sortir les
trois coques (coque centrale et deux flotteurs) de l’eau. Les plans porteurs
permettent de soulever les coques et réduisent ainsi la traînée hydrodynamique
de 75 %. Les foils fonctionnent dans l’eau comme les ailes d’un avion dans
l’air.
Le vol est-il dangereux ? - Même si les vitesses sont
aujourd’hui très élevées avec des pointes à 40 nœuds et plus, les Ultimes sont
moins volages que les anciens trimarans de 60 pieds Orma : « C’est beaucoup
moins casse-gueule qu’en Orma, affirme Loïck Peyron, qui a connu la navigation
en Ultime et en Orma. Certes, tu vas beaucoup plus vite en Ultime mais tu y vas
en étant stable, sans avoir peur toutes les deux minutes de chavirer ».
Avec les foils, on a des bateaux plus marins que ceux qui
s’appuient sur des flotteurs. Les Ultimes volants sont moins violents, plus
stables et sont capables, selon les allures, d’avoir des vitesses 30 % plus
rapides ». Lorsqu’un Ultime vole, il ne reste plus grand-chose dans l’eau,
entre 4 et 5 m².
Autre avantage des trimarans volants, la réduction du
tangage car tous les appuis sont focalisés sur deux points. Sans oublier le
passage dans la mer. Là où un trimaran classique va vite être freiné par l’état
de la mer, un Ultime volant va pouvoir passer au-dessus.
En vol, un Ultime s’appuie sur le foil à 70 %, la dérive et
son aile de raie à 20 % et les safrans (flotteur sous le vent et coque
centrale) pour 10 à 15 %.
Le talon d’Achille des Ultimes se situe sous l’eau : avec
deux foils, trois safrans (deux sur les flotteurs, un sur la coque centrale) et
une dérive aile de raie, cela fait six points d’impact possible. La grande
crainte des skippers est de taper un objet flottant non identifié ou un mammifère
à haute vitesse.
Qu‘est-ce qui permet de voler aujourd’hui ? - En 1979, Éric
Tabarly rêvait de faire voler son trimaran Paul Ricard. Mais il était en
aluminium et la technologie des plans porteurs était balbutiante à l’époque.
Ces 20 dernières années, les matériaux ont considérablement évolué, les calculs
de structure et les nouveaux procédés de construction ont permis d’améliorer
les qualités mécaniques des pièces. Sans oublier le carbone, dérivé du pétrole,
qui reste le matériau le plus résistant à poids égal. La connaissance de l’art
a également évolué dans les cabinets d’architectes, tous équipés de simulateurs
de navigation haut de gamme, capables de mesurer et de modéliser les efforts
d’un bateau sur ordinateur.
Sur les bateaux, tout a progressé : coques, bouts, voiles,
électronique, qualité des pilotes automatiques. Autant de progrès technologique
qui ont permis de faire un énorme bond en avant. « On ne reviendra pas en
arrière. Le vol, c’est l’avenir », affirme Vincent Lauriot Prévost.
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